De la méthode, de la pensée et de la compréhension


Voici des questions que je me pose:

-Comprendre un phénomène revient-il à chercher ses limites? A tracer un contour qui nous permets par la suite de canaliser notre pensée sur un champ bien précis?

-La théorie a-t-elle pour seul but d'expliquer le phénomène?

-Comprendre une théorie revient-il à mettre en évidence les contradictions qui en émanent?

-Peut-on être méthodique pour dégager les contradictions d'une théorie?

-Comprendre revient-il à construire/proposer/imposer une méthode pour pouvoir expliquer?


-Peut-on développer une pensée lorsqu'on cherche à comprendre?


Voici un début de réponse, mais ça n'explique pas tout:

"Ma conclusion sera double.

Sur le plan épistémologique, d’abord, je dirai qu’il n’y a pas deux méthodes, la méthode explicative et la méthode compréhensive. A parler strictement, seule l’explication est méthodique. La compréhension est plutôt le moment non méthodique qui, dans les sciences de l’interprétation, se compose avec le moment méthodique de l’explication. Ce moment précède, accompagne, clôture et ainsi enveloppe l’explication. En retour, l’explication développe analytiquement la compréhension. Ce lien dialectique entre expliquer et comprendre a pour conséquence un rapport très complexe et paradoxal entre sciences humaines et sciences de la nature. Ni dualité, ni monisme, dirai-je. En effet, dans la mesure où les procédures explicatives des sciences humaines sont homogènes à celles des sciences de la nature, la continuité des sciences est assurée. Mais, dans la mesure où la compréhension apporte une composante spécifique - sous la forme soit de la compréhension des signes dans la théorie des textes, soit de la compréhension des intentions et des motifs dans la théorie de l’action, soit de la compétence à suivre un récit dans la théorie de l’histoire -, dans cette mesure, la discontinuité est insurmontable entre les deux régions du savoir. Mais discontinuité et continuité se composent entre les sciences
comme la compréhension et l’explication dans les sciences.

Deuxième conclusion : la réflexion épistémologique conduit par le mouvement même de l’argument (…) à une réflexion plus fondamentale sur les conditions ontologiques de la dialectique entre expliquer et comprendre. Si la philosophie se soucie du « comprendre », c’est parce qu’il témoigne, au coeur de l’épistémologie, d’une appartenance de notre être à l’être qui précède toute mise en objet, toute opposition d’un sujet à un objet. Si le mot « compréhension » a une telle densité, c’est parce que, à la fois, il désigne le pôle non méthodique, dialectiquement opposé au pôle de l’explication dans toute science interprétative, et constitue l’indice non plus méthodologique mais proprement véritatif [de vérité] de la relation ontologique d’appartenance de notre être aux êtres et à l’Être. C’est là la riche ambiguïté du mot « comprendre », qu’il désigne un moment dans la théorie de la méthode, ce que nous avons appelé le pôle non méthodique, et l’appréhension, à un autre niveau que scientifique, de notre appartenance à l’ensemble de ce qui est. Mais nous retomberions à une ruineuse dichotomie si la philosophie, après avoir renoncé à susciter ou à entretenir un schisme méthodologique, reconstituait un règne du pur comprendre à ce nouveau niveau de radicalité. Il me semble que la philosophie n’a pas seulement la tâche de rendre compte dans un autre discours que scientifique de la relation d’appartenance entre ce que nous sommes et telle région d’être que telle science élabore en objet par des procédures méthodiques appropriées. Elle doit aussi être capable de rendre compte du mouvement de distanciation par lequel cette relation d’appartenance exige la mise en objet, le traitement objectif et objectivant des sciences et donc le mouvement par lequel explication et compréhension s’appellent sur le plan proprement épistémologique."

- P. RICOEUR, Du texte à l’action, Essais d’herméneutique (Expliquer et comprendre)

Image: (Auteur inconnu)

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